jeudi 5 janvier 2017

Les fragments inquiets et amusés d'Olivier Chapuis

ChapuisAttention, collector! "Fragments", petit livre signé Olivier Chapuis, a paru en format numérique aux éditions de Londres. Cette maison d'édition a décidé de tirer 25 exemplaires sur papier, à titre d'essai. Et l'essai est globalement réussi, même si la mise en page s'avère perfectible sur certains points. J'ai donc le plaisir particulier de vous présenter une petite exclusivité de la part de cet écrivain vaudois, président actuel de l'Association vaudoise des écrivains. Merci à lui pour cet exemplaire!

"Un album photo sans images": c'est ainsi que la préface de ce recueil présente les textes courts rassemblés dans "Fragments". Il est vrai que l'auteur y fait preuve d'un art consommé de la brièveté, parvenant à créer en quelques pages une ambiance, une problématique, une histoire même. Si courts qu'ils soient, les fragments réunis permettent à la plume de l'auteur d'exprimer un style volontiers spontané, avec même une pointe d'humour, ou parfois plus travaillé, plus grave et littéraire. Ils ont parfois même l'air de débuts de roman.

L'inquiétude est palpable dans certains textes. Elle s'exprime face à des tendances actuelles plutôt lourdes telles que la concentration de la commercialisation de biens dans les mains d'une entreprise détenant un monopole ("Un samedi en famille", dont l'esprit fait un peu penser à Philip K. Dick) ou l'hostilité face aux migrants ("Etre", où l'auteur se fait l'avocat de la personne qui cherche un avenir meilleur sous d'autres latitudes, en rappelant avec force qu'il est d'abord un humain). Le monde de demain sera-t-il surréaliste? Sera-t-il inhumain?

"Un samedi en famille" dérange du reste le lecteur sensible, peut-être cultivé ou attentif, en mettant en scène l'uniformisation de tout, associée à une certaine dépersonnalisation: les personnages mis en scène acceptent la mainmise de Ben Joseph (avatar transparent de McDonalds) sur toutes leurs activités de consommation. Le lecteur peinera du reste à se reconnaître dans les personnages mis en scène: sera-t-il un de ces manifestants qu'on n'écoute pas, ou l'un des membres de la famille trouvant des avantages à une entreprise monopolistique? Aucun rôle n'est enviable.

L'auteur sait se montrer plus léger pour aborder certains aspects bizarres de notre société. L'absurde s'invite par exemple dans les "fragments freudiens", qui explorent les cabinets des psychiatres, ou dans l'histoire hilarante de cet écrivain, veuf et cocu, qui ne trouve pas l'inspiration si sa femme ne lui caresse pas les couilles lorsqu'il est au clavier. L'auteur va jusqu'à interroger le statut de l'écrivain et le regard porté sur lui, justement, par exemple dans "Vendanges tardives". Le lecteur attentif croisera même un figurant "qui arrive toujours premier aux concours d'orthographe"...

D'une grande diversité, "Fragments" pourrait sembler être une compilation de textes sans lien entre eux. Ce n'est pas tout à fait le cas: le style de l'auteur contribue à l'unité de ce petit livre, traversé de bout en bout par l'idée d'un certain regard sur un monde pas toujours facile à comprendre, qu'un certain surréalisme amusé, où affleure parfois un petit accent de terroir ("Ma femme aussi"), permet cependant d'appréhender, par bribes. Ou, plus précisément, par fragments.

Olivier Chapuis, Fragments, Londres, Les éditions de Londres, 2016.

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