mardi 14 mars 2017

Rhapsodie en bleu sanglant avec Michel Moatti

Le site de l'éditeur - merci à l'éditeur et à l'écrivain pour l'envoi dédicacé.

La chasse aux scoops et au sensationnel peut prendre des détours terribles. Dans le monde des médias d'aujourd'hui, la pression pour sortir sans cesse de nouvelles informations est considérable: il faut tenir le lecteur en haleine, lui raconter un fait divers comme un roman policier. C'est dans cet univers impitoyable et malsain qu'évolue la jeune et célèbre journaliste londonienne Lynn Dunsday, passionnée d'un travail de terrain qui, en écho, s'avère également sans pitié. Avec "Tu n'auras pas peur", le romancier français Michel Moatti propose un thriller bien nourri, à l'intrigue corsée et aux ambiances malsaines, doublée d'une peinture sans concession de médias parfois prompts à flatter le côté voyeur du lectorat.

La description des médias est féroce, en effet: chacun veut faire la course en tête, ce que l'auteur démontre en donnant l'avantage aux publications en ligne, capables de se renouveler plusieurs fois par jour par la grâce des suivis. Les ambiances de stress permanent sont bien représentées à travers le personnage de Lynn Dunsday, qui consacre toute sa vie au Bumper, média en ligne tenu par un patron tyrannique, mange mal, dort mal et, finalement, vit mal. A côté, les autres médias jouent leurs atouts pour tirer leur épingle du jeu, et l'auteur les identifie bien: horaires de sortie des journaux du soir, beauté physique de la journaliste TV dépêchée sur le terrain. Phénomène intéressant: l'auteur montre que les médias ont même facilement quelques longueurs d'avance sur la police. Une police qu'on sent curieusement peu stressée par la succession d'homicides: elle peut se permettre de ne rien communiquer, de faire montre d'arrogance même... 

C'est que dans "Tu n'auras pas peur", les cadavres se succèdent à un rythme assez soutenu, dans des mises en scène macabres diffusées sur le Net par un mystérieux tueur en série, sous la forme de films. Tout cela est inclus dès le premier chapitre, terrible exposition montrant les dernières heures de vie d'un jeune Noir, dont les dernières visions seront celles d'une caméra Sony. On le repêchera plus tard, dans une position qui aurait pu être celle du musicien Otis Redding lorsqu'il est décédé d'un accident d'avion. Tous les autres morts seront la reconstitution de morts diverses et violentes du passé. Et ces reconstitutions, l'auteur les décrit fidèlement, suscitant la délectation coupable du lecteur...

Par le biais d'une postface, l'auteur n'hésite pas à faire visiter les coulisses de son livre, montrant quelles limites il s'est fixées et quelle est l'étendue de la documentation qui a pu lui servir. Les morts imitées par le criminel, en effet, reprennent des faits divers ayant réellement eu lieu; l'auteur a cependant masqué les vrais noms. Voilà le lecteur pris en flagrant délit de curiosité malsaine: pour un peu, on irait volontiers voir ce que Google a dans sa besace au sujet de ces événements sordides. Cet aspect, l'auteur en est conscient et l'utilise dans son récit en mettant en avant l'avidité de contenus gore, peu avouable, dont certaines personnes font preuve. Et, on l'a compris, il interroge aussi son lecteur sur sa position face à tout cela.

"Tu n'auras pas peur" laisse un très bon souvenir de lecture, celui d'un polar trépidant, rythmé par les articles rédigés par Lynn Dunsday et par une histoire d'amour aux développements tortueux, parasitée par le travail. On s'interrogera peut-être sur la présence d'un insecte en couverture, ainsi que sur la couleur rouge du titre: si ce livre est sanglant, c'est plutôt la couleur bleue, pas du tout innocente, qui sert de fil... rouge! Un fil qui sera dévidé jusqu'au bout, sans oublier le côté humain et les difficultés de la vie, entre autres à travers le personnage de Trevor, journaliste malade et tenté par un suicide assisté. Cette traque va-t-elle lui redonner le goût de la vie? Suspens... 

Michel Moatt, Tu n'auras pas peur, Paris, HC Editions, 2017.

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