mercredi 7 juin 2017

Jérôme Rosset, comme un café noir dégusté sans sucre

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C'est court, noir, sans arôme parasite, et ça claque, sec comme le kick d'un café noir le matin. A l'instar d'Emmanuelle Urien, on a envie de s'exclamer: "Court, noir et sans sucre". Sauf que là, c'est carrément succinct, comme un expresso italien qui colle au fond de la tasse, et qu'on déguste en une minuscule gorgée qui arrache. Parfait pour un petit déjeuner qui secoue les neurones, donc: telles sont les "Mauvaises nouvelles" de Jérôme Rosset.


C'est succinct, tout ça: aucune des 45 nouvelles de ce recueil ne dépasse les 5 pages A6, écrites assez gros; le recueil ne dépasse pas 136 pages. Autant dire que ça se lit vite! Il arrive même que tout soit plié en douze lignes, à la manière des meilleures plaisanteries, qui sont précisément les plus courtes. Et les plus percutantes, comme un croquis où chaque trait de crayon compte. C'est ainsi, en effet, que les textes du recueil sont pensés, sans fioritures baroques, sans décors inutiles. Droit au but, droit au neurone qu'il faut réveiller. Effet café noir, vous dis-je.

L'inspiration des textes vient de situations du quotidien, celui que nous vivons ou celui que nous découvrons dans les médias. On se retrouve ainsi avec l'histoire d'un mec qui se fait avoir bêtement par sa compagne pour son tour de vaisselle ("Amédée", moins d'une page pour décrire un artiste incompris et pleurnichard... tchac!), ou avec celle ("Position") d'un bref malentendu grivois autour d'une prise de position aux allures de pochade en entreprise, à peine plus longue qu'une blague Carambar.

Si le texte est plus long, c'est que l'auteur a voulu ménager un petit crescendo: il est bon, parfois, d'avoir un peu de longueur en bouche... d'autant plus que la chute s'avère, à la fin, des plus tranchantes. De ce point de vue, "Du monde et des croquettes" s'avère exemplaire; et mine de rien, cette nouvelle, la dernière du livre, dénonce en une gradation efficace les déboires d'un buzz qui chauffe trop vite, sur la base d'une affaire dérisoire.

Quelques astuces malicieuses ont trouvé leur place dans "Mauvaises nouvelles". On retrouve ainsi à plus d'une reprise le personnage de la mouche, que les lecteurs du précédent recueil "Nobles causes" connaissent déjà puisque l'animal est au centre d'une de ses nouvelles: "A ma mouche, à ma mer". Dans "Mauvaises nouvelles", l'auteur lui confère un caractère à la fois dérisoire et orgueilleux et, dans "Le conseil d'administration", va jusqu'à lui conférer un statut d'arme fatale. Ou de motif symbolique, parfois.

Dans le même genre, et c'est piquant, l'auteur affectionne les noms propres improbables, à consonance alémanique et caricaturale si nécessaire - toujours évocatrice cependant. Le lecteur aime se prononcer ces mots à haute voix, éventuellement avec l'accent, juste pour s'amuser - à l'instar de l'improbable "Walter Obensphul", distingué cuisinier du rien.

Nouvelles du dérisoire, flirtant sans complexe avec l'absurde, les 45 séquences de "Mauvaises nouvelles" ont la rapidité d'un article de presse avalé de travers au petit déjeuner avec le Lavazza bien tassé du jour. Malentendus, événements politiques dérisoires, exils de journalistes parisiens, tout y passe, toujours à la vitesse grand V: pas le temps de s'habituer! C'est fort, ça descend tout seul. Et bien sûr, aussi, c'est énergique et roboratif. Voilà de "Mauvaises nouvelles" dont on sort en pleine forme!

Jérôme Rosset, Mauvaises nouvelles, Genève, Cousu Mouche, 2017.

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