mercredi 1 novembre 2017

Au bout du monde, un artiste destructeur

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Catherine Gendron – Les artistes sont des créateurs, c'est bien connu. Qu'en serait-il s'ils étaient des destructeurs? Telle est la question clé que pose "L'hôtel du bout du monde", roman de Catherine Gendron, paru la semaine dernière. Ce livre reprend certaines figures imposées du thriller pour les restituer dans une mouture toute personnelle.


Qu'on ne s'y trompe pas: "L'hôtel du bout du monde" est porté par une écriture compacte, développée en longs paragraphes aux dialogues quasi inexistants. Ils pourront, à l'abord, paraître rebutants tant ils font sembler noire de mots chaque page à lire. Mais les chapitres sont souvent courts, et l'auteure a compris la mécanique qui permet d'accrocher le lecteur: une écriture fluide, au plus près de l'action, où rien n'est superflu. Surtout, l'écrivaine met en scène un personnage de jeune fille immédiatement attachant, Madeleine. Une Madeleine qu'elle va s'empresser de tuer ("Tuez vos chéries!", recommandait Stephen King dans "Ecriture": le conseil a été entendu!), dans des circonstances mystérieuses que l'auteure évoque dans une sorte d'ellipse un peu abrupte. Qu'importe: le lecteur est ferré, il veut savoir qui est le coupable. Et il n'accepte pas le "coupable trop idéal" rapidement désigné.

Je l'ai dit, c'est autour d'un artiste destructeur que s'articule "L'hôtel du bout du monde". On le voit destructeur d'œuvres d'art, les siennes donc, et c'est le moindre de ses défauts. Mettant sa création en adéquation avec sa vie, Mallow Gabaz, puisque c'est son nom, s'applique aussi à détruire la vie de celles qui vont croiser son parcours. On pense à celle qui a découvert son talent alors qu'il était en prison, qu'il a plaquée pour une autre. On pense aussi à celle qui est chargée d'écrire sa biographie, plus tard. Autant dire que l'introspection a sa place dans cet opus, sans lourdeur, et avec justesse pour ce qui concerne les relations des personnages qui gravitent autour de l'artiste. Enfin, destruction ultime, Mallow Gabaz, violent mais lâche, tueur peut-être, ne pourrait-il pas lui-même se suicider? L'auteure va au bout de cette idée de l'artiste destructeur, et cela implique évidemment cette issue; reste à voir comment.

Tout cela oscille entre des décors d'intérêts divers. Le Paris montré par l'écrivaine n'est certes guère novateur ou savoureux pour le lecteur, et se présente plutôt comme le cadre familier d'un lieu où se fait et se défait le marché de l'art, dont l'auteure dessine quelques tics et travers. Le lecteur trouvera davantage d'intérêt à la description de cette plage imaginaire du bout du monde, qui pourrait être en Normandie, à une trentaine de kilomètres de l'Angleterre, vue comme un havre. Lieu imaginaire? Certes: les noms de localités ne sont jamais indiqués que par une initiale, les décors sont dessinés a minima: il y a une plage, un bunker, un hôtel isolé, un village dont on ne saura pas grand-chose, si ce n'est qu'il préserve farouchement le secret du drame mortel qui ouvre le roman. Sobre, ce décor est une invitation à écrire une légende.

Cette légende, chaque personnage en détient un élément, et l'auteure le souligne en choisissant d'écrire chacune des séquences de son roman en adoptant le point de vue d'un personnage. Si le style est constant, et empreint de la distance imposée par l'usage de la troisième personne, le point de vue est à chaque fois juste. On peut certes être surpris par la facilité qu'a Claire, l'hôtelière, de se confier à Lucie, romancière venue recueillir son témoignage, alors qu'elle est présentée comme déterminée, distante et peu encline à changer ses habitudes; peut-être faut-il dès lors voir l'intervention de la femme de plume comme l'élément qui débloque ce quelque chose qui empêche Claire, quadragénaire susceptible d'évoluer encore, d'avancer dans la vie. Cela donne à la fin du roman une lumière inattendue.

Autour de la personnalité clé d'un artiste sombre et torturé, adepte de la création destructrice, la romancière développe une intrigue plutôt bien troussée qui met en scène de beaux personnages, féminins en particulier, qui ne sont pas forcément liés entre eux, si ce n'est par la fréquentation d'un personnage délétère qui sert de pivot. Cela, sur fond à la fois de beaux-arts dévoyés et d'arrière-pays français quasi désertique.

Catherine Gendron, L'hôtel du bout du monde, Paris, Paul&Mike, 2017.
Le site de l'éditeur.

2 commentaires:

  1. Réponses
    1. C'est un roman original dans la forme, à essayer donc! Avec un fascinant personnage d'artiste tourmenté, bien travaillé.

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